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Les détentions arbitraires au Burundi : UN OUTIL DU POUVOIR POUR ÉTOUFFER LES VOIX DISCORDANTES ! QUEL RECOURS POUR LES VICTIMES ET QUELLES SANCTIONS POUR LES AUTEURS ?
Editorial
La détention arbitraire est devenue un outil redoutable du pouvoir pour étouffer les voix discordantes, contrôler la population et se maintenir au pouvoir. A l’instar de tous les systèmes politiques répressifs, la pratique de la détention arbitraire vise à museler principalement les opposants politiques, les journalistes et les activistes, réduisant ainsi les capacités de la société à s’exprimer librement.
En conséquence, les citoyens évoluent dans un environnement de peur où ils craignent de s’engager dans des activités citoyennes et de plaidoyer, ce qui renforce encore plus le pouvoir autoritaire sans bornes. Les mêmes systèmes répressifs utilisent les arrestations illégales et les détentions arbitraires pour détourner l’attention du public des problèmes économiques ou sociaux comme la corruption et la pauvreté qui en découle en créant une psychose de menace à la sécurité nationale.
Au Burundi, le phénomène récurrent des arrestations illégales et/ou détentions arbitraires affecte gravement les victimes tant sur le plan physique, moral que matériel ou financier. C’est ainsi qu’en novembre 2023, l’Initiative des Droits humains au Burundi (IDHB en sigle) tirait déjà la sonnette d’alarme sur le phénomène de détention arbitraire comme « l’une des formes d’injustice les plus graves du système judiciaire burundais : des prisonniers croupissent pendant des mois, voire des années, dans des prisons surpeuplées après avoir été acquittés, après qu’un tribunal a ordonné leur libération provisoire ou après avoir purgé leur peine »[1]. Le même rapport soulignait que « bon nombre des cas d’emprisonnement illégal ont une connotation politique »[2].
Les cas les plus emblématiques de détention arbitraire pour des mobiles manifestement politiques et qui font la une de l’actualité depuis plusieurs mois sont ceux du Dr Christophe SAHABO[3] et de la journaliste Sandra Umuhoza[4]. Plusieurs autres cas, dont celle de Emilienne Sibomana[5] illustrent la situation des détentions arbitraires des personnes acquittées, mises en liberté provisoire ou qui ont purement et simplement purgé les peines auxquelles elles avaient été condamnées. A cela s’ajoute le non-respect quasi-systématique des délais de procédure prescrits par le code de procédure pénale[6].
Au poids naturellement trop lourd de la détention arbitraire en soi s’ajoutent les mauvaises conditions de détention auxquelles sont soumises les prisonniers burundais en général et les prisonniers politiques ou d’opinion en particulier. En effet, au Burundi, les prisonniers surtout de la catégorie des prisonniers politiques font l’objet de mauvais traitements qui consistent principalement en des isolements dans des cellules de correction, en bastonnades et en des fouilles de cellules occupées par des détenus poursuivis pour des infractions à caractère politique.[7]
Certes, le phénomène de détentions arbitraires prévalait avant l’avènement du CNDD-FDD au pouvoir en 2005 car sous le deuxième régime de feu président Pierre Buyoya (1996 – 2003) notamment, le Gouvernement se montrait déjà conscient de la gravité et des effets pervers de ce crime.
C’est ainsi qu’à travers son rapport initial soumis à la Commission Africaine des droits de l’Homme et des Peuples en 2000, le Gouvernement d’alors notait que « la question de l’arrestation et de la détention arbitraires est une question sensible comme droit de l’homme à protéger sans concession. Après les atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique, la privation arbitraire de liberté se range en effet parmi les atteintes les plus graves et les plus frustrantes aux droits de la personne humaine »[8]. Le rapport reconnaissait également que certains magistrats abusent de l’arme de la détention en ces termes : « Bien des magistrats et policiers ou même des administratifs indélicats abusent en effet de l’arme de la privation de liberté pour extorquer des aveux, pour exiger des sommes indues et à leurs propres profits, par vengeance ou règlement de comptes ou pour tout autre motif sordide »[9].
Cette situation s’est empirée avec la crise de 2015 par la destruction des médias indépendants et l’exil d’une centaine de journalistes, la radiation des organisations de la société civile indépendante, le harcèlement des opposants politiques et le rétrécissement des libertés publiques qui s’en est suivi.
Devant l’ampleur du phénomène des arrestations et/ou détentions illégales et arbitraires, SOS Torture Burundi se propose, à travers le présent numéro, d’informer le public en général et les victimes d’arrestations et/ou détentions arbitraires en particulier, sur les possibilités de réparations et de répression des auteurs dans l’ultime objectif de contribuer au respect de la loi en matière de privation de liberté par ceux-là même qui sont chargés de l’application de la loi.
Pour ce faire, il sera question d’évoquer le cadre légal national et international de protection contre les arrestations et/ou détentions arbitraires ainsi que les possibilités d’obtenir réparation des victimes et sanction des auteurs au regard du droit positif burundais.
Le présent numéro est articulé en trois parties. La première partie revient sur la réalité du phénomène des arrestations et/ou détentions arbitraires et des conséquences sur les victimes et leurs familles. La deuxième partie traite du cadre légal de protection contre les arrestations et/ou détentions arbitraires en droit burundais tandis que la troisième partie est consacrée aux voies de recours et opportunités de réparations en faveur des victimes et la répression des auteurs des arrestations et/ou détentions arbitraires. Une conclusion générale et des recommandations sont formulées à l’endroit des autorités judiciaires et/ou administratives et politiques, responsables directes et/ou indirectes des cas d’arrestations et ou détentions arbitraires.
La Rédaction
[1] IDHB, « Prisonniers oubliés. La Justice burundaise ignore la loi », Novembre 2023, p.5.
[2] Idem, p.9.
[3] Dr Christophe SAHABO est un ancien Administrateur Directeur Général de Kira Hospital, un hôpital privé de référence au Burundi qui, depuis 2022, a été accaparé par le pouvoir du CNDD-FDD agissant principalement par les agents du Service National de Renseignement et un certain NDAGIJIMANA Charles, ancien Président de la Cour constitutionnelle du Burundi et actuel Administrateur Directeur Général de la société publique dénommée « Société d’Assurance du Burundi », SOCABU en sigle.
[4] Journaliste détenue depuis avril 2024 pour un message diffusé dans un groupe WhatsApp
[5] Syndicaliste acquittée depuis 28 juin 2024 mais elle est toujours en détention.
[6] La loi N°1/09 du 11 mai 2018 portant Code de procédure pénale.
[7] ACAT-BURUNDI, RAPPORT ANNUEL SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME, Edition 2023 Lien https://www.acatburundi.org/wp-content/uploads/2024/03/Rapport-annuel-de-lACAT-Burundi-sur-la-situation-des-droits-de-lhomme-edition-2023.pdf
[8] University of Antwerp, Rapport initial de la République du Burundi sur l’application de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, DOC/OS(XXVII)/154c, 4 mars 2000, P.24. Lien https://1drv.ms/b/s!AipaXUkwnNPwgyDvCqsKSEjaiEWw?e=MQlXWC
[9] Ibidem.